L’obésité intellectuelle
Ce matin je me suis levée très trop. Dès l’aube, je suis tout excitée de vivre la journée, je n’ai même pas ressenti le manque de sommeil durant ces derniers jours. Hier encore, je me suis couchée tard. J’ai répété une centaine de fois mon discours pour la remise de diplôme où je serai la porte parole de cent quinze nouveaux maîtrisards devant une centaine d’invités dont nos proches et quelques professeurs. Une journée très marquante dans notre vie nous attend!
À partir d’aujourd’hui, une centaine de jeunes renforcera le nombre de ceux qui sont déjà dans la course aux travails, dans ce pays où le taux de chômage dépasse récemment les 40%.
Depuis la crise politique et économique de 2009 à Madagascar, de nombreuses entreprises ont fermé leurs portes et les investisseurs y sont presque réticents à contribuer jusqu’à l’apaisement du climat politique.
Des offres d’emplois, il y en a peu. Et le peu qui existe ne correspond même pas à nos diplômes. Faute de choix, de nombreux jeunes diplômés acceptent des emplois qui ne correspondent même pas à leurs vocations.
Actuellement, la plupart des offres qui s’affichent se trouve dans le monde de l’offshore, monopolisé particulièrement par des sociétés du Nord et que les tâches sont envoyées dans les pays du Sud y compris Madagascar, là où les salaires sont les moins chers. Ces postes sont généralement spécialisés en communication comme les télé-conseillers, les webmasters, les gestionnaires de forum de discussion, les traiteurs de texte… presque rien à voir avec les études en sciences de la vie, en gestion d’entreprise ou en économie où l’on a passé les 5 dernières années à l’Université. « Je suis polyvalent… je peux traiter des documents de toutes sortes vu que j’ai un diplôme en biotechnologie » est l’arme que le candidat disait lors de son entretien d’embauche. Une phrase que l’on prononce pour optimiser la chance d’être retenu mais qui au fond a une connotation négative. Du coup, le candidat est engagé dans l’équipe qui traite les dossiers scientifiques. Quel avantage pour la société d’avoir un nouvel élément qui pourrait bien comprendre le sujet scientifique sur le site web à gérer, une personne ressource qui pourrait sans difficulté filtrer les discussions hors sujet postées sur le forum, un cerveau qui connaît très bien les détails de la composition du produit cosmétique mis en vente en ligne ; bref, un atout pour le poste.
Mais une personne, quelque soit sa filière d’étude, bien formée en la matière fera bien l’affaire. De plus, l’annonce dans le journal ne requiert que Bacc+2 sans même préciser la spécialité requise pour le poste. À quoi bon perdre son temps à étudier sans relâche les détails des réactions chimiques avec les CO2 et les H2O durant 5 ans si un diplôme de 2 ans est assez suffisant? La demande ne correspond pas à l’offre ou c’est l’offre qui ne correspond pas à la demande?
Disons quand même que c’est encore une chance que l’on trouve un travail dans ce pays, même si nos diplômes surpassent les qualifications du poste.
Notre jeunesse souffre véritablement d’une « Obésité Intellectuelle ». Une obésité qui touche les jeunes sans emplois correspondant à leurs diplômes. Comme toutes les obésités, c’est le résultat d’une accumulation des ingérées avec un manque d’exercices pour les éliminer. Dans le cas présent, c’est une accumulation de connaissances. En effet, durant des années on a stocké les connaissances sans pour autant effectuer assez de pratiques pour les utiliser.
Il y a également le phénomène de grignotage qui ne fait qu’augmenter le dépôt de graisses. Grignoter quelques petites formations par ci et par là le temps qu’on trouve du travail pour ne pas perdre du temps. On nous dit toujours qu’il ne faut pas perdre du temps ! Eh oui, pour optimiser le temps on suit des formations de courtes durées dont les plus tendances sont en leadership, en entreprenariat, en technique de consultance, en technique de négociation, en gestion de projet… Des renforcements de capacités de ce genre il y en a beaucoup dans notre ville. Il est évident que les petits investisseurs connaissent bien les besoins des jeunes ; un besoin de ce plus pour gonfler son CV dans ce monde de concurrence… Mais encore rien ne garantie que ces formations soient vraiment nécessaires pour la quête d’emplois. À coup sûr, cette formation va renforcer le stockage de connaissances. À la fin, on devient polyvalent quasiment sans pratique.
Pire cette « Obésité Intellectuelle » suscite un complexe chez les jeunes diplômés. On fuit les regards des autres face à notre situation. On craint de ne pas trouver un emploi à ses qualifications comme on a honte de se trouver gros dans ses habits.
Oui, notre jeunesse souffre d’«Obésité Intellectuelle». Les Obèses ont besoin de beaucoup plus d’exercices, des travails qualifiés pour mieux dépenser ses stocks de connaissances. Faudra t-il réviser les programmes universitaires pour mieux répondre les offres sur le marché du travail ou faudra t-il faire appel à la création d’emplois qui correspondent à nos diplômes?
L’Obésité Intellectuelle n’affecte pas seulement Madagascar. Même si elle n’est pas contagieuse de nombreux jeunes dans d’autres pays souffrent de la même situation. Notre jeunesse actuelle souffre d’une « Obésité Intellectuelle » ; cette pandémie n’est pas héréditaire mais si aucun remède efficace n’est pas trouvé rapidement alors la génération future risque d’attraper la même maladie.
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